On ne sous-estimera jamais assez le pouvoir des préjugés. Par exemple, prenez une boutique dont l’aspect extérieur ressemble à une ruine. On dira d’elle que c’est une survivante, qu’elle a traversée l’Histoire… mais qu’au premier coup de vent, elle ne sera plus là pour défendre son territoire. Et c’est à partir de là qu’il ne faut pas confondre préjugés et « style ». Car ne vous y trompez pas, ma boutique est tout ce qu’il y a de plus solide ! Je vous l’accorde, au premier abord, on la dirait sortie d’un film catastrophe où la moitié du monde a été rasé et où cette petite battisse a tenue le choc on ne sait trop comment. Les panneaux et piliers en bois se craquellent, la peinture bleu nuit commence à s’élimer sérieusement, le panneau « Credendo Vides : Magie, Livres et Accessoires » au dessus de l’entrée commence à devenir illisible et la porte… passons sur le sujet de la porte.
Et pourtant, je serais incapable de la modifier. Lorsque j’en suis devenue propriétaire, il y a de ça presque 20 ans, je suis tombée amoureuse de cette ambiance décalée et oublieuse du monde extérieur : c’est son âme. En voyant la devanture, on sait tout de suite dans quoi on met les pieds. D’ailleurs, toujours avec les préjugés, je suis sûre que vous vous attendez à quelque chose de sombre, un peu poussiéreux, voire confiné. Erreur ! En entrant, la première chose que l’on note c’est mon carillon, mélodieux et si merveilleux carillon : Au lieu d’une cloche (si répandu dans les magasins de nos jours), j’ai liées entre elles avec du ruban plusieurs petites clochettes au son si enfantin. On dirait une brise… Cela me tire de mes rêveries (assez fréquentes) en douceur. La deuxième chose c’est la douce odeur de jasmin, ni indécelable, ni agressive, qui embaume l’atmosphère.
Un visiteur, après avoir passé la porte, se trouve donc dans un petit espace d’environ 2x4 mètres surélevé par rapport au reste de la boutique, se trouvant elle, en semi sous-sol par rapport à la rue. Une petite balustrade en bois vernis sépare symboliquement l’ « étage », de la boutique à proprement parler (une chute de 1 mètre n’ayant jamais tué personne). Un petit escalier de six marches assez larges mène à la fameuse boutique. Plancher vernis (encore), bibliothèque assez complète sur la gauche et accessoires divers et variés sur la droite. Pour les articles rares et/ou spéciaux, s’adresser à la caisse, au fond à droite. Petite particularité de ma boutique : une mezzanine dont l’accès se fait par un escalier boisé (qui en aurait douté ?) en colimaçon.
Là haut se trouvent des éditions rares, mais aussi (et surtout), une petite table ronde cerclée de trois fauteuils en daim. J’aime à y, déguster un bon chocolat (je parie que vous vous attendiez à du thé) en compagnie de ma chère amie vampire, bouquiner ou rêvasser. Et c’était précisément un bouquinage intensif qui m’occupait. Aucun client n’était venu depuis deux heures, et je passais mon temps en conséquences. Lovée tel un chaton dans le daim si confortable, j’entamais mon troisième livre en deux heures, savourant le fait d’être considérée comme suffisamment asociale pour qu’on me laisse tranquille. Je lorgnais sur la pile de livres qui m’attendaient en poussant un léger soupir de contentement.